Thylacine, en terre inconnue et électro.
Le samedi 2 mars, l’artiste angevin Thylacine était sur la scène de La Sirène (La Rochelle), là où il répétait en janvier dernier sa nouvelle tournée qui affiche quasi-complet partout. Le musicien electro revient sur la conception, en Argentine, de son nouveau carnet de voyage musical.
Thylacine est un nom de scène bien énigmatique. Quid de ce mot.
Si vous cherchez dans Google, vous trouverez un animal originaire d’Australie et de Tasmanie, aujourd’hui disparu. Au moment de mes études de biologie, je suis tombé sur ce mot que je trouvais beau, hors-norme. Quand j’ai découvert l’histoire de cet animal chassé par l’homme, j’ai souhaité que ce mot, à défaut de l’animal, continue à vivre. D’une manière plus musicale. Il y a aussi l’idée d’aller chercher dans un nom de scène une histoire, autre chose en tous les cas que quelque chose qui sonnerait seulement bien.

Transsiberian vous a révélé au public en 2015. Que retenez-vous de cette aventure ferroviaire et artistique?
Ce fut le lancement de mon concept artistique, comme un test. Ce projet est arrivé d’une réflexion: quel serait pour moi la meilleure façon de composer? Pourquoi tel jour j’arrive à travailler et, pourquoi, pendant des semaines rien ne sort? La conclusion était que quand je suis en voyage, en mouvement, que je vis des choses fortes, je suis stimulé artistiquement. Au moment de ce constat, je tournais beaucoup et étais toujours dans un train. J’ai donc choisi de prendre la ligne de train la plus longue au monde pour m’évader, sans être sûr que je reviendrai de ce périple avec un album. Ce procédé de création en voyage, sur la route, à rencontrer des gens, s’est avéré le bon, car Transsiberian fut en quelque sorte mon premier carnet de voyage. Là, je publie le second.
D’où vous vient ce besoin de rapport entre un lieu et une musique?
C’est un constat naturel en fait: je me rends compte qu’en fonction d’où je suis ma musique va être très impactée. Que je sois en plein centre de Paris, paumé dans les montagnes ou en bord de mer, l’atmosphère qui m’entoure fait que je compose différemment. Je trouve intéressant de pousser ce constat plus loin en partant vivre des aventures à l’autre bout du monde.
Pour Roads vol. 1, c’est l’option road-trip argentin en caravane-studio vintage qui a été choisie. Pourquoi l’Amérique du Sud?
Après Transsiberian, je me suis dit: “tu ne vas pas faire tous les trains du monde, surtout qu’il sera compliqué d’en trouver un plus long que ça pour faire un album “. J’ai alors planché sur un studio-mobile avec la rénovation de cette caravane américaine que j’ai transformée en home-studio professionnel. Puis j’ai pris un planisphère et j’ai regardé les endroits où je n’avais jamais posé les pieds. L’Amérique du Sud donc. Je voulais un pays avec de la route, où l’on puisse se perdre et avec une culture assez forte et intacte. L’Argentine s’est vite révélée à moi. Des compositeurs locaux, des films comme Carnets de voyage de Walter Salles m’ont inspiré. Quand j’ai vu qu’un cargo pouvait amener ma caravane à Buenos Aires, je me suis dit: “Allez, c’est parti! “.

Ce second album a des sonorités bien plus acoustiques. Est-ce dû à l’influence de l’Amérique du Sud?
Pour la première fois, j’avais un vrai studio avec la possibilité d’embarquer de vrais instruments (percussion, guitare, etc.). Je pouvais prendre le temps, contrairement au train, d’enregistrer du son organique. C’était une volonté, car j’étais un peu fatigué des sons synthétiques. Tout en gardant l’énergie d’une musique électro, je souhaitais insuffler de l’organique à mes compositions.
Votre caravane-studio fonctionne à l’énergie solaire. En début d’interview vous nous parliez de cet animal disparu à cause de l’homme. On vous sent proche de la nature, des questions environnementales. Avez-vous observé les affres du dérèglement climatique en Argentine?
Difficile de répondre, car je découvrais le pays, mais j’ai pu me rendre compte que les régions viticoles migraient vers les hauteurs, tous les 2-3 ans pour récupérer un peu de fraîcheur. Au-delà du rapport écologique, c’était vraiment la première fois de ma vie que je me retrouvais au milieu de nulle part, à braver les éléments en très haute altitude, au milieu du désert. Se confronter à cette nature m’a beaucoup marqué.
Partir au bout du monde seul, créer son propre label. On sent chez vous un irrépressible besoin de liberté et d’indépendance…
J’ai un côté control freak, mais surtout j’aime m’intéresser à plein de choses, autres que la seule musique. J’ai rénové notamment toute ma caravane pour y créer mon studio, je conçois mes pochettes. J’ai créé mon label, car mes projets artistiques sont bien trop hors-normes pour être suivis par une maison de disque classique. Maintenant, j’ai pris l’habitude de gérer mon projet comme je l’entends, en toute autonomie. Quand on réalise 80% du travail seul, pourquoi ne pas prendre en charge les derniers 20%?

Vous revenez tout juste d’Australie où vous avez joué à deux reprises. Comment est le public de Sidney?
L’Australie reste un pays assez européen dans sa culture. Assez anglais, notamment à Sidney. J’ai joué en Asie, en Russie, en Afrique et là le choc culturel était plus probant. J’adorerai jouer dans des villes plus reculées dans les terres australiennes, là, je sentirai forcément une énergie différente, inédite de la part du public.
Demain, vous jouez à la Cigale. Votre tournée affiche complet sur de nombreuses dates. On imagine qu’elle propose au public un beau voyage …
C’est mon but en tout les cas. Je prends plaisir à travailler la scénographie de mes live. Avec des vidéos, des lumières. J’ai tourné des images pendant mon road-trip: des paysages, des rencontres. Je les retravaille pour la scène. Le but de ce road trip était qu’il soit un laboratoire de création tant musical que visuel. Je propose des concerts que j’espère immersifs, où j’emmène le public loin. D’Argentine en terre transsibérienne!
Photo © F.Tijou
Propos recueillis par Cédric Chaory.