Paris : Chéries – Chéris, Festival du film LGBTQI & +++
La 26ème édition du festival de films Chéries-Chéris se tiendra exceptionnellement du 29 juin au 6 juillet cette année, toujours dans les salles MK2 Bibliothèque, Quai de Seine et Beaubourg à Paris. Un festival rassembleur autour de la culture LGBT+. Laissez-vous tenter, c’est ici l’occasion de découvrir sur grand écran une sélection de films, courts et longs-métrages, mais aussi de documentaires. Il s’agit du plus grand festival du genre en France. À vous de programmer votre séjour à Paris. Mais, même si vous n’êtes pas obligatoirement présents, sachez que Chéries-Chéris donne le ton des prochains films à venir et à retenir. WAG pose ses questions à Grégory Tilhac, le délégué général du Festival…

Bonjour Grégory, cette édition de Chéries-Chéris est l’occasion de voir environ 140 films ou documentaires. Comment votre équipe procède-t-elle à la sélection d’une telle quantité d’œuvres?
C’est un travail au long cours. Le processus de sélection démarre dès janvier, avec les premiers films pressentis pour le Festival de Berlin, qui programme toujours beaucoup de films LGBT. Puis, ensuite avec ceux pressentis pour Cannes. Puis enfin avec tous ceux qui nous sont soumis sur notre plateforme de candidature. Je dirais que l’on visionne environ 280 longs métrages et 600 courts métrages, pour finalement 60 longs et 80 courts retenus. C’est donc un travail conséquent, mais nous tenons vraiment à ce qu’aucune œuvre passe sous nos radars. Tous sont visionnés, avec des avis formulés systématiquement.

L’importance de la transmission est un facteur majeur pour notre communauté LGBT+. Un événement comme Chéries-Chéris a-t-il un rôle à jouer dans ce sens?
Des progrès ont été accomplis dans la société en matière de droits pour les personnes LGBT, mais les discriminations et les violences persistent, et la représentation n’est toujours pas suffisante dans les médias. Notre festival est avant tout un événement cinéphile, un moment de célébration de la formidable profusion et de la grande diversité et créativité du cinéma LGBTQ. Mais notre mission est aussi d’honorer et de célébrer l’idée qu’il puisse exister une culture LGBTQI et en être fier. En France nous sommes très frileux avec cette idée, hantés par le spectre du communautarisme à l’anglo-saxonne et habités par la notion d’”inclusion”, maître mot de l’égalité républicaine. Mais il est essentiel que les personnes LGBTQI se retrouvent aussi entre elles pour réfléchir aux enjeux qui les concernent et qui sont déjà suffisamment nombreux si l’on cherche à conjuguer toutes les tendances du sigle LGBTQI +++ Cela ne veut pas dire que nous rejetons les spectateurs curieux qui ne seraient pas directement concernés, bien au contraire, mais nous ne pouvons pas remettre au centre de nos préoccupations celles de la majorité. Depuis maintenant 26 ans, le festival Chéries-Chéris donne une visibilité, un écho à toutes les luttes pour la dignité et la fierté qu’elles soient individuelles ou collectives, et constitue un moment essentiel de ralliement, de présentation, de représentation des acteurs de ce combat.
Cette année, c’est au film “Ammonite“ (une passion amoureuse lesbienne dans l’Angleterre de 1840) d’ouvrir le festival. Il s’agit du deuxième film de Francis Lee (Seule la Terre). Pourquoi avoir précisément choisi ce film?
Nous l’avons choisi pour l’ouverture, car tout simplement, c’est un grand film, labellisé Cannes 2020, avec deux actrices magnifiques: Saoirse Ronan et Kate Winslet. Après Seule la terre, présenté en ouverture de Chéries-Chéris 2017, nous avions aussi à cœur d’exposer au mieux le travail de Francis Lee, cette fois-ci avec une love-story lesbienne. C’est un film tout aussi réussi que le précédent, à la fois social et romantique, poétique et émouvant. On y retrouve aussi des thématiques fortes comme l’accès à la conscience de soi, l’éducation sentimentale, la naissance de l’amour et du désir, la puissance du monde environnant ou encore la fatalité des trajectoires sociales…
Que diriez-vous globalement de la sélection des 11 autres films en compétition, dont le déjà remarqué “A Good Man“ (France) de Marie-Castille Mention-Schaar?
Je pense que l’on a trouvé un bon équilibre entre les propositions gay, lesbiennes et trans, les origines géographiques très diverses ainsi que les genres cinématographiques explorés, tout en gardant à l’esprit les principaux critères dans le jugement d’une œuvre : la qualité et l’audace. Concernant A GOOD MAN, c’est un gros coup de cœur de notre part. Labellisé Cannes 2020 et adapté d’une histoire vraie, ce film humaniste et plein d’espoir traite d’un sujet rarement abordé au cinéma : le désir de parentalité chez les personnes trans. Noémie Merland y est fabuleuse, elle n’est pas du tout dans la performance, mais dans le ressenti profond. C’est une œuvre qui impressionne aussi par sa manière d’interroger nos dispositions à l’empathie et à la compréhension véritable de l’autre, sa vérité. Et de questionner par là-même le poids de la norme, les préjugés, le dogmatisme et l’étroitesse d’esprit.
On constate avec plaisir la belle présence du cinéma sud-américain, dont “Le Prédateur“ (El Cazador), le nouveau film de l’argentin Marco Berger. Quel regard portez-vous sur le cinéma LGBT+ de cette partie du monde?
En effet, on constate la qualité exceptionnelle des films en provenance d’Amérique latine : Brésil, Argentine, Chili. C’est vraiment de ce continent que viennent aujourd’hui les propositions les plus audacieuses en termes de scénario, de mise en scène, d’esthétique, avec une volonté assez admirable de dynamiter les tabous et de se frotter aux sujets les plus complexes. Parmi les 14 longs métrages en sélection, on trouve notamment VENT SEC, un Inconnu du Lac à la sauce brésilienne, un grand film sur le désir entre hommes, passant avec liberté du fantasme à la réalité jusqu’à confondre les deux. On a aussi le nouveau film de Marco Berger, LE PRÉDATEUR, qui revient avec une proposition plus subversive, très “Larry Clark“, où l’on retrouve son empreinte (voyeurisme décomplexé, érotisation des corps) pour un thriller moral captivant. On peut aussi citer JOURNAL D’UN ADOLESCENT, un film argentin qui apporte un regard neuf et juste sur l’adolescence en abordant avec finesse une multitude de sujets parfois tabous: l’alcool, le sexe, la drogue, la dépression ou encore la découverte sexuelle.
Pour ce qui est de la programmation des courts-métrages, comment s’organise la présentation et la compétition à Chéries-Chéris?
80 courts métrages seront présentés en compétition. Ils sont répartis en 11 programmes distincts: 4 programmes gay (dont un “hot“), 3 programmes lesbiens, 2 programmes trans et 1 programme queer. Seulement 2 prix seront décernés au final puisque la compétition est transversale, donc on souhaite bonne chance au jury 😉
Y a-t-il une tonalité générale qui ressort de la sélection des documentaires?
Difficile de trouver une tonalité générale si ce n’est que ce sont tous des documentaires audacieux, puissants traitant de sujets très actuels: l’homoparentalité dans un pays très homophobe, la Hongrie (Her Mothers), la question des agressions sexuelles contre les hommes (Un Viaje en Taxi), les atrocités LGBTphobes commises en Tchétchénie (Welcome to Chechnya), la problématique transgenre vue à travers la première femme commandante dans l’armée allemande (Ich bin Anastasia), ou encore la nudité masculine dans les arts de la scène (le sublime Bare).
La programmation est si vaste à Chéries-Chéris qu’il est impossible de tout évoquer. Quelques mots tout de même sur la présence du réalisateur Bruce LaBruce?
Oui Saint-Narcisse. Ce sera la première française après sa présentation à la dernière Mostra de Venise. C’est un film extrêmement original qui parle des retrouvailles de frères siamois séparés à la naissance et qui décident à la vingtaine – dans un élan qui tient autant du mysticisme que du narcissisme sexuel – de se recoller. Variation libre sur le mythe de Narcisse, le film traite de thèmes comme la fluidité des identités, la masturbation, le twincest [NDLR: inceste entre jumeaux ou jumelles] et l’intersection entre extase religieuse et sexuelle. Une œuvre provocatrice, romantique et pleine d’espoir!
Dans le programme il y a également un week-end Before intitulée Renaissance Noire, c’est un écho au mouvement Black Lives Matter, c’est bien cela?
Tout à fait. Au cours de l’année 2020, le mouvement étatsunien Black Lives Matter a pris une portée sans précédent, continuant à rappeler l’importance de la vie de personnes noires et à condamner les menaces systémiques à leur encontre. Trouvant un écho dans les affaires françaises de violences policières et de discriminations racistes, ce message a atteint notre rive de l’Atlantique et des voix se sont élevées pour demander la fin de ces violences et exiger l’égalité. Tout cela nous a motivé à concocter ce programme de films de patrimoine qui, dès les années 80 et 90, posaient les bases de nos réflexions.
De votre côté, en tant que Grégory, le spectateur, quels seraient les moments à ne pas louper lors de cette 26e édition de Chéries-Chéris?
Difficile à dire, car j’aime l’ensemble des films pour les avoir vus et sélectionnés. Mais si je devais en citer deux que je n’ai pas encore évoqués, je dirais CICADA, un formidable premier long-métrage américain dans la lignée de Weekend d’Andrew Haigh et Keep the Lights On d’Ira Sachs. Et un deuxième : NO HARD FEELINGS, lauréat du Teddy à Berlin en début d’année. L’histoire exaltée d’un premier amour dont l’esthétique queer flamboyante, la musique inspirée et la sensibilité à fleur de peau évoquent le cinéma de Xavier Dolan.
Plus d’informations , visitez le site du festival