Marvin Jouno: L’intime planète
Il avait impressionné avec Intérieur Nuit son 1er album paru en 2016, Marvin Jouno se réinvente en beauté et électro-pop avec s/Mars, sombre et mélancolique opus.
Vous venez de publier votre second album s/Mars, après avoir enduré 3 douloureuses années faîtes de deuils successifs et d’un long périple à travers le monde. Au cours de ce voyage, saviez-vous que vous en tireriez un album?
Pas du tout, car ce voyage que j’ai entrepris a plutôt été une parenthèse à vrai dire. Dans le processus créatif, c’est plus une récréation que je me suis accordée. Je voulais retrouver l’enfant qui était en moi et pas l’homme qui écrit des chansons, voyager, prendre de notes, faire des photos, mais surtout ne pas écrire des chansons cette fois-ci. Cela fait 5 ans que je mène mon projet professionnel de manière obsessionnelle, il me fallait m’évader. Après, ces pays traversés ont certainement nourri l’album, mais de manière inconsciente.
Durant vos pérégrinations, vous avez tenu scrupuleusement un carnet de voyage. Y-a-t-il matière à un récit, un roman?
J’adorerai. C’était l’intention première. Depuis que je suis ado quand je voyage, je tiens un carnet, de manière assez factuelle. Je note ce que je fais comme des aide-mémoires, mais cette fois-ci, dès les premiers jours, je me suis mis à rédiger de manière beaucoup plus littéraire, dans un effort romanesque. Je n’ai toujours pas relu ces trois carnets et je ne sais pas si c’est de qualité. Dans mon souvenir, c’était très impressionniste. J’étais complètement solitaire, je n’ai pas fait de rencontres. Mon carnet était mon meilleur copain.
Qu’avez-vous appris de vous à travers ce périple?
Que j’étais vivant. J’avais besoin de me sentir profondément en vie, j’avais peu de choses, c’était un voyage assez cheap. L’idée était d’aller droit devant et de jeter la casquette que j’avais sur la tête. À mon départ, elle était noire, au bout d’un an et demi elle était mauve délavée. J’ai balancé cette casquette dans le Pacifique en pensant que mes problèmes partiraient avec.
On dit souvent de votre écriture qu’elle est cinématographique, on oublie de dire qu’elle s’épanouit surtout dans les figures de style, notamment les assonances (Danse). Quel est votre processus d’écriture?
Il est particulier et il a évolué entre le premier et le deuxième album. En 2016, l’année de la sortie de Nuit intérieure, j’alternais entre promo et live. Je vivais dans le nord-est parisien et me baladais la nuit. Au cours de ces balades, j’ai pris des notes sur mon portable, des punchline sur ce que j’étais en train de traverser. Cela a duré quelques mois et puis j’ai organisé tout cela sur mon ordinateur. J’ai décelé assez rapidement les trois figures féminines qui m’obsédaient et intégré les punchline dans les bons dossiers. Tant que je n’ai pas la composition, je ne vais pas beaucoup plus loin que cela. Par le passé, j’ai tenté d’insérer mes paroles dans une compo au chausse-pied, c’était compliqué. Le français est un matériau fascinant, mais n’est pas simple à chanter. Une fois le décor planté, la composition écrite et la bonne lumière trouvée, je me mets à la rédaction. Aujourd’hui, je travaille sur ordinateur, donc je rédige mes couplets en jouant sur les copier-coller. Parfois, j’ai 5 versions d’un même couplet. J’ai aussi cette tendance à faire des moitiés de chanson, ce qui agace mon équipe. Ce processus au long cours me plaît. J’écris souvent un texte sur un an et demi pour trouver le recul nécessaire. Je parle toujours de ce qui m’émeut et il m’importe de régler ce que j’ai sur le cœur.
Vous décrivez s/Mars comme sombre, dense et plus clivant. En quoi pourrait-il déstabiliser le public?
En fait, les premiers retours sont positifs et donc je n’ai pas l’impression de perdre mon public. Public qui n’est pas très large soyons honnête. J’ai l’impression d’avoir solidifié les choses, apporter une singularité. Je souhaitais m’affirmer un peu plus, car je suis arrivé sur la pointe des pieds avec Intérieur Nuit, en apprenant le métier. Là, je voulais trouver ma place. De prime abord, si l’on écoute que Danse, on pourrait trouver ma musique légère, avec ce refrain entêtant et auto-tuné mais l’album est bien plus profond et le public l’a compris.
Danse est un des premiers singles extraits de l’album. Il est effectivement peu représentatif de s/Mars. Pourquoi un tel choix?
J’assume complètement ce titre qui apporte une couleur différente au reste de la palette s/Mars. Le premier single est précisément s/Mars, ma chanson-manifeste sortie en octobre. Avec Danse, je voulais montrer que cet album possède quand même un peu de lumière. Le label a soupçonné un joli potentiel sur ce titre et ce sont eux les experts en stratégie marketing… même si mon projet est loin d’être marqué par la stratégie.
L’électro domine sur cet album. D’où vient cette couleur musicale qu’on ne vous connaissait pas?
Il y avait quelques incursions électro dans Intérieur Nuit. Par touches. Pour le second album je voulais aller bien plus loin dans cet univers musical que j’écoute au quotidien, avec du hip-hop aussi. J’écoute peu la chanson française. Je crains cette étiquette de variété française. Je chante en français certes, mais essaye de faire une pop actuelle en ne me refusant rien dans mes explorations musicales.
Des bribes de paroles, de chansons, de messages téléphoniques, de discours d’enfants ouvrent ou ferment vos titres. Qu’expriment-ils?
J’ai voulu peupler mon album d’instants du quotidien. J’avais été marqué par les ambiances de Blonde de Franck Ocean et le second opus de Bon Iver, sortes de journaux intimes musicaux et je reproduire cela. Hormis le sample d’On refait le monde tiré d’une émission télé des années 60, je n’ai utilisé que des mémos sonores que je recevais et des choses que j’enregistrais sur mon Iphone comme cet ivrogne qui hurle en bas de chez Agnès avec qui je compose. Je voulais que cela sonne vrai, renforce le caractère cinématographique de l’album.
Zazie ne tarit pas d’éloges sur vous. Que représente t-elle?
Elle est l’une des deux incarnations de la pop en France. Son écriture est ludique et profonde. Sa musique sur 25 ans est évolutive avec une prise de risque régulière. Ca sonne anglo-saxon. Je la respecte à mort. Son album très sombre Cyclo, produit par Aaron, est une grande œuvre. Je déplore son demi-succès. Zazie est ma petite fée. Elle m’a beaucoup apportée. J’ai fait une dizaine de premières parties avec elle. De jouer devant 1 500 personnes m’a formé, moi qui étais vraiment novice côté scène. Le clou du spectacle était qu’elle m’invite à chanter en duo avec elle sur Taratata…

… la chanson Ton Héritage de Biolay. D’ailleurs Le silence m’a beaucoup fait penser à Benjamin Biolay. Vous inspire t-il?
J’admets que Trash Yéyé a été mon album de chevet. Il y a 10-15 ans, Benjamin était à mon goût l’artiste le plus intéressant en France. Je m’y retrouve un peu moins aujourd’hui. Je suis sans doute parti pour Le silence d’un inconscient mais j’essaye surtout de m’affranchir de cette étiquette que l’on m’a collée dès Intérieur Nuit. Je comprends le parallèle et il y a pire comme comparaison. Pour Le silence sans doute est-ce la métrique dans ma ligne de chant? … mais j’aspire juste à être Marvin Jouno dans toute sa singularité. Nos instrus sont différentes et nous n’écrivons pas de la même manière.
Et aujourd’hui, après l’écriture et la parution de cet album cathartique, comment va Marvin Jouno?
Je suis sur courant alternatif. Parfois, c’est lumineux puis soudainement ténébreux. Il va falloir que je me calme un peu. Je suis très à cran, très à fleur de peau. Le fait que l’album soit sorti, il y a quelque chose de l’ordre de la libération, mais j’y ai mis beaucoup de moi-même, je me suis vraiment oublié pendant 3 ans en m’accrochant à ce phare au loin, j’avais et j’ai de grandes attentes avec cet album. J’ai conscience que l’industrie musicale a changée depuis mes débuts pourtant récents. Il n’y a plus de classe moyenne dans la musique, c’est comme dans la vie. Soit on cartonne, soit on galère. Il y a une excitation médiatique sur les premiers albums ou les artistes ultra-installés. Mais le principal aujourd’hui est que mon album soit là et que j’en parle avec vous, non?
Propos recueillis par Cédric Chaory
Album «s/Mars»,
Label Un Plan Simple/Sony Music.