L’univers surréaliste des thérapies de conversion.

Nos questions à Anthony Favier (Coprésident de l’association David & Jonathan)

“Les thérapies de conversion“, une expression qui revient de plus en plus dans l’actualité. La député LREM, Laurence Vanceunebrock-Mialon travaille actuellement à la proposition d’un texte de loi sur la question. Le sujet est vaste, et il est facile de se perdre face à une question qui est multiple. Nous avons demandé à Anthony Favier, coprésident de l’association chrétienne et LGBT David et Jonathan, de ­répondre à quelques questions.

Bonjour Anthony, vous vous intéressez et vous vous mobilisez contre les thérapies de conversion. Avant toute chose, pouvez-vous nous rappeler ce qu’est David et Jonathan, l’association à laquelle vous appartenez, et pouvez-vous vous présenter?

David & Jonathan est une “vieille dame“ puisque l’association a 45 ans! Ce qui est un record dans le monde LGBT… Elle offre depuis plusieurs décennies un espace de convivialité pour que les gens puissent concilier leur identité de genre, leur orientation sexuelle et leur ­spiritualité. David & Jonathan n’est pas un mouvement d’Eglise, mais bien une association loi 1901 ouverte aux chrétiens (catholiques, protestants) ou personnes en recherche. Nous prenons position publiquement pour dénoncer l’homophobie religieuse et nous essayons de montrer que sur les questions LGBTI+ les groupes religieux sont plus divers que ce que souvent veulent bien dire leurs représentants. Ce fut particulièrement vrai au moment du mariage pour tous ou, aujourd’hui, avec les débats autour de la PMA. Personnellement, j’ai 34 ans et je suis coprésident depuis 3 ans désormais. D’éducation et de culture catholique, je me mobilise beaucoup avec mon association contre les programmes de conversion, de ­guérison ou de délivrance… Les thérapies de conversion, ce sujet que l’on pensait réservé aux USA, revient aujourd’hui dans l’actualité européenne. Est-il possible de définir cette ­expression, et ce à quoi elle correspond? Le paysage religieux est ici un peu différent de celui des Etats-Unis.

Nous sommes en France dans un pays où la culture chrétienne était majoritairement catholique avec des Églises protestantes plutôt ouvertes. Par exemple, dans les églises de l’EPUdF (la principale union d’églises protestantes en France) les pasteurs peuvent bénir les couples homo mariés! Mais cela change: les églises néo-pentecôtistes venues d’Amérique du Nord prennent de plus en plus d’importance et, même chez les catholiques, les courants dits “charismatiques“, qui partagent beaucoup avec les évangéliques, ont le vent en poupe. Cette ­spiritualité a quelques traits caractéristiques: un puritanisme en matière de mœurs, une forme très moderne avec des cultes dynamiques et vivants et bien souvent une opposition affichée au mouvement LGBT… Force est donc de constater que depuis les années 2000, on assiste à une offensive très forte de groupes qui veulent, soit contenir le désir homosexuel (Courage chez les catholiques), soit “réparer“ l’orientation sexuelle (Torrents de vie chez les protestants)…

Des mouvements évangéliques “ultra“ commencent également à importer les pires programmes nord-américains avec des sessions durant lesquelles on fait jeûner les participants et on les soumet à des prières de “délivrance“ une sorte d’exorcisme pour faire sortir le démon de l’homosexualité.  

Quelle place occupent les thérapies de conversion aux USA ? Est-ce un phénomème d’ampleur ?

Aux Etats-Unis, les “thérapies de conversion“ sont un phénomène social important. Le William Institute estime que 700 000 personnes, de 18 à 59 ans, de ­toutes confessions auraient été ­touchées. En France, aucune étude universitaire sérieuse comparable n’a été faite… C’est un ­problème car lorsque les associations LGBT ou de défense des droits humains (Amnesty, la Ligue des Droits de l’homme) dénoncent ces pratiques, le Ministère de la Justice et les services du Premier Ministre qui ­s’occupent de la lutte contre l’emprise sectaire (la MIVILUDES) répondent que c’est ­groupusculaire et marginal… N’empêche que notre association reçoit des témoignages qui forment beaucoup de signaux de basse intensité: quelque chose est en train de bouger. Ce que l’on croyait très minoritaire tend à se normaliser et il est important que tout le monde ­associatif LGBT soit mobilisé; des jeunes, particulièrement dans les milieux populaires, risquent de tomber dans les griffes de stages, sessions ou autres programmes qui, sous des apparences bienveillantes, sont dangereux. Aujourd’hui, l’expression est de plus en plus utilisée en France.

Par quels courants de pensée ou quels groupes religieux s’exportent ces pratiques?

Aujourd’hui, les mêmes noms reviennent souvent dans les témoignages: “Torrents de Vie“, “Courage“, “Libérer“, «Oser en parler», etc. Même si les groupes catholiques se défendent souvent en disant qu’ils n’ont rien à voir avec les dérives évangéliques, tous participent au même ­phénomène. Disons que si l’on considère que l’homosexualité est un “désordre“ (catéchisme de l’Eglise catholique) ou est condamnée dans la Bible (compréhension évangélique classique des choses), cela pousse à mettre sur pied des programmes d’accompagnement qui tendent soit à contenir le désir homosexuel, soit à le convertir en désir hétérosexuel. Les pratiques varient par contre d’un groupe à l’autre pour parvenir à ce but. Dans les groupes catholiques, on va utiliser le groupe de parole et de soutien associée à une direction de conscience (la confession). Dans les groupes protestants, on sera plus dans les ­pratiques de délivrance (prières, imposition des mains, jeûne). Je ne parle pas de toutes les pressions ­psychologiques insidieuses qui existent dans tous les groupes confessionels: présentation exclusivement ­négative de l’homosexualité, emploi d’expressions pour disqualifier le mode de vie gay, formes de chantage psychologique sur la rupture avec la communauté, ­culpabilisation autour du thème du péché et du salut…

La députée LREM Laurence Vanceunebrock-Mialon travaille sur ce sujet. En tant qu’asso, ou que ­personne, aidez-vous également ce travail ­parlementaire?

L’association David & Jonathan sera auditionnée par la mission parlementaire le 25 septembre prochain. Sans se prononcer sur l’aspect juridique des choses (qui a l’air complexe), nous soutenons toutes les initiatives qui ­permettraient de respecter l’intégrité physique et ­psychologique des LGBT, particulièrement des jeunes. Pensez-vous qu’une loi visant à interdire les thérapies de conversion soit nécessaire en France? La “pénalisation“ des actes est peut-être une piste pour mettre fin à ces pratiques, mais elle ne suffira pas. Il faut également travailler à la meilleure information des publics LGBT, faire du lobbying à l’intérieur de chaque groupe confessionnel pour parvenir à faire prendre conscience de la dangerosité de ces pratiques et aider les courants ouverts des religions qui proposent une lecture des Ecritures et de la morale chrétienne, moins homophobe.

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