La Grande Sophie, au fil du temps
Un peu plus de vingt ans que La Grande Sophie, chantre de la chanson à textes, anime la scène française. Une révélation Scène aux Victoires de la musique en 2005, le grand prix de l’Académie Charles Cros en 2009 et une Victoire du meilleur album en 2013 pour La Place du fantôme ont récompensé son parcours. Témoin immuable des différentes orientations de la chanson française, elle publie ce mois-ci Cet instant, son huitième album. Interview.
Vous vous réinventez à chaque album. Est-ce par peur de l’ennui ou pour surprendre votre public ?
J’espère ne pas m’ennuyer. La musique est tellement vaste qu’il n’y a pas de quoi s’ennuyer. Une version d’un titre peut être adaptée à l’infini. Je pense que j’aime me renouveler: à chaque album, il me faut amener autre chose. Cet instant, ce nouvel album, est différent des autres et j’espère que cela va s’entendre.

En quoi est-il différent ?
Je vais plutôt commencer par vous dire en quoi il ne l’est pas. J’ai une thématique qui m’obsède: celle du temps qui passe. C’est un thème récurrent, très présent sur cet album. Après il est différent car je l’ai composé au piano. Vous me connaissez tous avec une guitare mais le piano m’a toujours attiré donc je me suis fait plaisir. J’ai beaucoup aimé poser mes doigts naïvement sur les touches du piano car toutes les notes y sont là devant vous. Il se passe tout de suite quelque chose qui vous donne envie de raconter une histoire très rapidement. Cet instant n’a pratiquement pas de guitare. Il est ancré dans le présent avec des sons du moment mais retravaillés. Il est composé de 8 chansons et d’un instrumental.
La façon dont vous consommez la musique influence t-elle votre façon de composer ?
Je ne consomme pas la musique, je n’aime pas ce mot. J’en écoute de temps en temps, surtout pendant les périodes où je ne compose pas. Je constate cependant que j’en écoute de moins en moins sans doute car je suis de plus en plus sollicitée. Les réseaux, les plateformes nous font passer d’un titre à un autre, or j’aime prendre le temps de découvrir un album dans son entièreté. Je l’ai fait récemment car Jeanne Cherhal a eu la gentillesse de m’adresser son nouvel album. Je l’ai placé dans mon lecteur CD et me suis mise en face de mes meilleures enceintes pour l’écouter plusieurs fois. Ce fut un plaisir.
Le temps qui passe est une thématique qui vous obsède. La musique est-elle pour vous un moyen de lutter contre la mortalité, d’être immortelle ?
Je pense que oui, quelque part. La musique c’est laisser une trace mais je ne crois pas que je compose uniquement pour cela car composer c’est aussi un exutoire qui me permet de m’exprimer. Je ne suis pas quelqu’un de très bavard et la musique m’a toujours permise d’avoir un lien avec les autres. Enfant, mais aussi étudiante. On venait taper à ma porte quand on m’entendait chanter. Cela m’a permis de faire mes plus belles rencontres.
Des rencontres vous en avez faîtes beaucoup ces dernières années en composant pour les autres. Qu’est- ce que cela a changé dans votre travail d’écriture ?

Quand on écrit pour les autres, cela fait plaisir car on se projette. J’ai dans mon répertoire un titre qui s’intitule Quelqu’un d’autre… et il y a un peu de cela quand on écrit pour un autre artiste. C’est un travail totalement différent car on se doit de bien comprendre ce que souhaite l’autre. On réécoute tout son travail, on se demande ce qu’on pourrait bien lui apporter de neuf. J’ai été très à l’écoute avec Françoise Hardy au moment de lui écrire Le Large. Nous entretenons une correspondance via mail, nous aimons beaucoup nous écrire et nous partageons nos coups de coeur musicaux. Je sais qu’elle écrit ses propres textes mais je ne souhaitais pas lui composer uniquement ses musiques, j’ai eu la chance qu’elle accepte mes textes ET musiques. C’est d’autant plus gratifiant car vous la connaissez comme moi pour être une femme très exigeante artistiquement.
Elle m’a aussi refusé un texte. Sur le nouvel album, Où vont les mots ? lui était destiné mais à sa lecture, Françoise m’a dit que ce texte était vraiment pour moi donc cela peut avoir des avantages d’écrire pour les autres. Dans ce cas précis, Françoise a été inspirante et m’a permise d’écrire un très beau titre pour mon nouvel album.
Votre collaboration avec l’auteure Delphine de Vigan a t-elle changé votre manière d’écrire ?
Alors je ne dirais pas que cela a forcément changé ma façon d’écrire mais dans notre spectacle de lecture musicale, très minimaliste, L’une et l’autre il n’y avait que des guitares-voix, et beaucoup d’a cappella. Je n’avais jamais osé l’a cappella sur un album mais cette expérience avec Delphine m’a débloquée. Sur Cet instant figure donc un a cappella.
Vous êtes une artiste de scène. Qu’allez-vous apporter de nouveau à votre tournée qui débute en octobre prochain ?
Il y a mon travail réalisé avec Delphine comme je vous l’ai dit … l’a cappella. J’ai aussi envie de me poser beaucoup plus. Il y a des éléments nouveaux qui arrivent au fil des ans. On m’a connu au départ dans l’énergie. Je souhaite aujourd’hui explorer d’autres couleurs car l’énergie a sans doute été une belle facette de ma personnalité pour cacher des choses … Je peux aussi poser ma voix, chanter des ballades. J’ai débuté dans les cafés, j’ai dû pousser ma voix pour me faire entendre … moi ce que je recherche aujourd’hui c’est sentir l’émotion de l’artiste que je viens écouter, découvrir une de ses petites failles, fêlures. Un timbre de voix, une attitude maladroite, cela peut être beaucoup de choses …
Et vous saurez nommer vos propres failles ?
Oh j’en ai beaucoup (rires). Je déteste me voir à l’écran. C’est pour cela que je n’ai jamais sorti un live entier. Je suis plus dans les moments éphémères. Les failles, j’aurais tendance à les gommer … J’ai plein de défauts et sans doute que c’est cela qui touche les gens. Par contre j’arrive désormais à écouter ma voix. Mais me voir c’est toujours compliqué !
Propos recueillis par Cédric Chaory
Cet instant – La Grande Sophie (Universal Music)
Sortie le 13 septembre.