Martin Luminet, Violemment sensible

Martin Luminet, la chanson française sur scène.
Martin Luminet sur scène

Vous publiez votre premier EP après avoir multiplié depuis pas mal d’années les scènes et remporté de nombreux prix et autres participations à des tremplins. Pourquoi le choix d’un tel chemin, d’un tel tempo?
J’ai toujours trouvé que les parcours des chanteurs et chanteuses débutants sont déconnectés de la réalité, que le processus “album puis tournée“ était quelque peu faussé. Comme vous l’avez sans doute remarqué mes textes sont très intimes. Je parle de moi. Il m’a donc fallu du temps, de la «  matière vécu  » pour pouvoir graver sur un disque le cheminement de ma vie. Pour assumer aussi qui je suis, cette vulnérabilité qui est mienne. J’ai beaucoup cherché avant d’enregistrer cet EP. J’ai pensé avoir trouvé puis je suis revenu en arrière puis j’ai synthétisé et enfin je me suis senti prêt à enregistrer ce que j’avais à dire.

Cœur est le premier extrait de Monstre. Un titre aussi intime que viscéral. Il plante de manière cash votre univers. Pourquoi choisir ce titre comme premier ­single?
Cœur est sans doute la chanson la “plus vraie“. Je ne cherche pas à séduire, je ne souhaite pas non plus attirer un public qui me dirait “Oh je ne m’attendais pas à ça“ donc j’évite tous les faux-semblants pour me présenter de manière la plus sincère, la plus centrée sur qui je suis. C’est d’ailleurs assez troublant de se présenter ainsi, au public, sur scène, quand tous les regards se braquent sur vous. L’équipe avec qui je travaille m’a suivi d’ailleurs ­aisément sur le choix de cette chanson radicale comme premier single. Nos rapports sont ultra simples et ­bienveillants et puis mon équipe a saisi que mon besoin d’ultra-transparence est essentiel.

Cœur, Martin Luminet

Vous parlez de vos titres comme des “chansons ­violemment sensibles”. C’est à dire?
J’ai mis longtemps à comprendre ce que j’avais en moi : de la violence et de la douceur. Comme tout à chacun en fait. Comme toutes personnes sensibles, je prends tout de plein fouet et j’oscille tout le temps entre les deux pôles. Je me refuse inconsciemment à étouffer un des deux car ­j’estime qu’on est totalement soi en les réconciliant, en les embrassant tous les deux.
Cette conscience de soi, me concernant c’est venu assez tard et via la musique. Je considère mon entrée en musique comme une sortie de route. Un accident qui m’a sauvé la vie. Mon éducation parentale était dans la lignée “Obtiens ton bac, trouve un emploi et passe ta vie à te faire gentiment chier“ mais l’année du bac j’ai rencontré la musique. Je suis allé voir des potes qui répétaient. Ils cherchaient à ce moment là un chanteur. Je me suis inventé une vie d’auteur-interprète. Étonnés par cette révélation, ils m’ont alors demandé de venir la semaine suivante avec mes textes. Pendant une semaine, j’en ai écrit plusieurs. Tout est sorti d’un coup. J’avais accumulé en fait un tas d’émotions qui ne demandait qu’à être ­exprimé.

Qui est ce Monstre  qui nomme votre album?
Moi… Vous savez le monstre a mauvaise presse. Au cinéma, le monstre est rarement montré dans son ensemble. Il n’est que succession de plans, il est ainsi difficile de ­l’appréhender dans son ensemble et il inquiète donc par méconnaissance. J’en ai eu peur de ce monstre mais je l’accepte. Le monstre est devenu le héros de mon film. Il faut de toute façon accepter notre colère, nos envies trop fortes. Ne rien planquer sous le tapis. On te regarde comme un monstre car tu te montres tel que tu es, sans faux-semblants et hypocrisie. Tu essaies, tu fais des erreurs mais tu es totalement toi. Je plains sincèrement les personnes qui ne vivent pas cette sincérité d’être ­totalement soi. Ils vivent sans exister en étant spectateur de leur vie. J’estime qu’ils passent à côté de grands ­bonheurs.

Concernant votre chant vous avez opté pour le ­spoken word. Il vous est plus facile de déclamer ainsi?
On va dire que c’est une nécessité. Quand j’ai ouvert les vannes, au moment d’écrire mes paroles, le flow fut ininterrompu. Les textes étaient bavards et plutôt que de les étouffer, j’ai tout laissé sortir. Je ne voulais rien retenir et que cela reste brut. Le spoken word permet cela. En fait je suis quelqu’un de lent à la répartie, à la rhétorique et là ces textes m’apparaissaient comme des phrases que j’aurais aimé sortir dans des situations très précises à des personnes en particulier. Je n’ai donc rien voulu enjoliver concernant ces paroles. Qu’elles soient brutes et le plus juste possibles.

Magnifique, Martin Luminet

Le spoken word appelle souvent à la pluridisciplinarité. C’est aussi une dominante dans votre travail ­artistique …
Tout à fait. Au moment où j’ai déconstruit toute mon éducation je fréquentais le centre culturel de ma ville. La programmatrice de l’époque jouait la carte de la ­pluridisciplinarité. Tous les arts vivants étaient ­représentés. Je me souviens avoir vu des spectacles sublimes comme Kiss and Cry de Michèle Anne De Mey et Jaco Van Dormael ou encore les pièces de la compagnie québécoise des 7 doigts de la main. De la beauté à l’état pur. La danse m’émeut particulièrement. C’est l’art le plus fou du monde: un langage émotionnel qui peut être ­compris par tous les peuples. Moi qui ai un rapport à mon corps très particulier, j’aime regarder de la danse. Lors de mon accompagnement au sein du Chantier des Francos, j’ai aimé travailler sur le corps. Le débloquer, travailler ­l’invisible, ce qu’il y a au fond de soi, ce qui nous fait vibrer …


Dans le press kit de votre maison de disque, on peut lire que votre univers serait un télescopage entre le Biolay de À l’origine et la noirceur viciée d’Odezenne. Comparaison n’est pas raison mais ça vous va?
Je comprends que le public, les médias aient besoin de repères, de références … et ça me va comme espace de compromis. Les artistes ont tous leurs propres influences, appropriées digérées puis rejetées mais nous sommes tous foncièrement singuliers. Dans Monstre, je raconte mon histoire qui n’est pas celle d’Odezenne. Ceci dit ­j’apprécie énormément ce groupe bordelais. Leur répertoire m’a donné cet espoir de reprendre le pouvoir sur ma propre vie. Une chanson peut t’aider en te disant “OK, ça peut m’autoriser à continuer mon chemin“. Il est des projets et des attitudes auxquels on doit beaucoup … Je pense à Barbara, à Adèle Haenel. Je ne parle pas des ­belles artistes mais des femmes qu’elles sont. Les interviews de Barbara me fascinent. On y devine une femme éprise de liberté, de toutes les libertés. Elle était un ­monstre magnifique.

Les 2 premiers clips de Monstre sont des petits bijoux qui allient son et image célèbrant au passage le cinéma. Amoureux inconditionnel du 7ème art?
J’ai grandi dans une petite ville sans cinéma. Quand je me suis installé à Lyon pour mes études, j’ai fréquenté avec assiduité le ciné près de la fac, bien plus que les cours de la fac d’ailleurs. C’est dans le noir et le silence des salles obscures que s’est opérée la reconquête de ma ­personnalité. Sur grand écran, j’ai vécu toutes les émotions, toutes les sensations fortes loin du regard des ­autres. Ce fut la fugue de ma vie …


De 2017 à 2020, vous avez raflé X prix et été lauréat X fois jusqu’à l’apothéose des Francos 2020 puis est survenue la pandémie. Comment vit-on cette période à l’aube d’une carrière qui décolle?

Martin Luminet – Monstre


Fort heureusement je n’ai pas géré cela tout seul. Mon équipe m’a ­énormément épaulé tout comme le Chantier des Francos qui a développé efforts, temps et moyens pour que vive ma promotion. Je sors grandi de toute cette énergie car je sais qu’il y a beaucoup d’artistes qui ont malheureusement perdu la foi. Pendant le ­premier confinement j’ai écrit les titres Monde et Amour. Si la pandémie nous a enlevé beaucoup, j’espère qu’elle raconte aussi quelque chose de nous. De ma génération à qui on a toujours dit  “vous n’avez connu aucune guerre, aucun conflit“. Désormais nous avons cet événement qui nous lie et qui nous oblige à nous relever, à faire communauté pour créer à nouveau de la beauté.

Propos recueillis par Cédric Chaory.
EP Monstre – Martin Luminet (Label: La Percée)