Homophobie dans le football. L’histoire d’un bras de fer qui finit par faire Pschitt !

Nos questions à Julien Pontes
(Porte-parole du collectif Rouge Direct)

Julien Pontes / Rouge Direct

“À la fin, ça fait pschitt!“, pour reprendre une expression­ redevenue populaire ces dernières semaines­.­ C’est ainsi que, malheureusement, se termine­ le feuilleton de la rentrée autour de l’homophobie­ dans les stades.
Devenu du jour au lendemain, le sujet numéro 1 de l’actualité, il a disparu aussi vite qu’il était apparu. Wag a posé ses questions au collectif Rouge Direct pour mieux comprendre cet épisode et la suite à en attendre.

Bonjour… Avant de commencer à évoquer l’épisode du dernier bras de fer autour de l’homophobie dans le foot, pouvez-vous nous rappeler ce qu’est le collectif Rouge Direct, d’où il vient, et pourquoi son analyse sur le Football est pertinente?

Rouge Direct est un collectif de lanceurs d’alerte, créé fin 2016, mobilisé contre l’homophobie dans le football et dans le sport en général. Nous sommes majoritairement issus du Paris Foot Gay qui a lutté dans le même sens entre 2003 et 2015. Nous nous appuyons sur tout le travail accompli ces 15 dernières années dans ce combat très difficile, mais que nous avions considérablement fait avancer. Il y a eu la signature de notre Charte contre l’homophobie dans le football par la Ligue de Football Professionnel en 2008, par une dizaine de clubs de foot professionnel dont le Paris Saint-Germain, des enquêtes de terrain, des formations­,­ des sensibilisations en direction des supporteurs­… Notre Charte avait même été reprise par la ministre des Sports, Rama Yade, en 2010, qui l’avait faite signer à toutes les Fédérations sportives françaises!
Faire signer une Charte et obtenir des promesses d’engagement­,­ c’est bien… mais réussir à faire passer les instances du foot et les clubs à des actions concrètes de terrain pour lutter contre l’homophobie reste difficile voire impossible. Le fait qu’il y ait un turn-over incessant de ministres des Sports et que la FFF, la LFP et que les clubs n’aient pas la volonté de faire bouger les choses concernant l’homophobie, qui est pourtant un problème de société très grave, y est pour beaucoup. Alors on s’épuise face à l’inertie et, au bout de quelques années, on finit par raccrocher les crampons­… Mais nous sommes repartis à l’attaque avec Rouge Direct en 2016, plus offensifs et déterminés que jamais!

Pour évoquer la crise d’aujourd’hui, je crois qu’il faut revenir à l’épisode 1 de ce feuilleton. Peut-on dire qu’il se déroule en mars dernier lors d’un classico de la ligue 1, PSG – Olympique de Marseille? Ce jour-là, la ministre des Sports, Roxana Maracineanu, est dans les tribunes du Parc des Princes. Que se passe-t-il?

Oui effectivement, la ministre des Sports Roxana Maracineanu a tiré le signal d’alarme que nous actionnions depuis quelques années déjà, le 17 mars quand elle a entendu par elle-même 30 minutes d’injures homophobes des supporters du PSG contre l’OM. Nous ne la remercierons­ jamais assez pour cette prise de position très déterminée. Elle nous a reçus au mois de mai et nous avons, à cette occasion, pu vérifier sa volonté d’agir contre­ l’homophobie. C’est la volonté d’une femme de parole et d’engagement, celle d’une mère également qui refuse catégoriquement que ses enfants, que les enfants, soient exposés à la banalisation de l’injure homophobe dans les stades de foot.
Elle pensait légitimement pouvoir siffler la fin de cette situation insupportable. Hélas, les instances du foot ont immédiatement contesté son autorité. Alors que la Ministre est la “patronne“, que la FFF et LFP agissent par délégation­ de service public octroyée par le ministère des Sports, la présidente de la LFP a répondu que l’homophobie­ faisait partie du “folklore du foot“. Le président­ de la FFF l’a renvoyée à son passé de nageuse…


Devant la fermeté affichée du gouvernement, quelques mois après, la Ligue de Football Professionnel (Mme Nathalie Boy de la Tour) décide de faire arrêter les matchs en cas d’homophobie dans les stades. Que vous êtes vous dit au moment de cette décision?

La LFP a, en effet, instauré un nouveau dispositif à la reprise du Championnat de France en août dernier, visant à arrêter les matchs en cas de manifestations d’homophobie.­ Elle n’a fait que se conformer à une obligation: la Fédération internationale a, elle-même, pris cette même disposition quelques semaines auparavant. La LFP était de toutes façons obligée de s’y conformer, point final. C’est ce que nous nous sommes dit. Sauf que la LFP n’était absolument­ pas prête à faire respecter ce règlement, car elle n’a engagé ces dernières années quasiment aucune action de sensibilisation auprès des supporters! C’est une faute inadmissible de ne pas avoir fait ce travail de sensibilisation sur l’homophobie auprès des supporters alors que tout le monde sait que le football est gangréné par ce fléau!


Très vite, Noël Le Graët, le président de la Fédération Française de Football (dont la LFP dépend) se déclare lui favorable à l’arrêt des matchs en cas de racisme, mais pas en cas d’homophobie? Pour vous, c’est un dérapage? La déclaration de quelqu’un d’incompétent sur le sujet? Ou alors une volonté de hiérarchiser les discriminations dans le monde du football?

Ces propos sont lamentables et dangereux, mais ils ont le mérite de donner à voir à quel point le président de la FFF est indifférent à la lutte contre l’homophobie. Ils sentent aussi fortement la démagogie. Ils semblent vouloir flatter la catégorie de supporters qui ne veut pas renoncer à l’injure­ homophobe… Et tout cela aux dépends du respect des LGBT.
Le président de la FFF a provoqué par ces propos une indignation très largement partagée dans notre société, en faisant une hiérarchie entre homophobie et racisme, donnant consigne d’arrêter les matchs en cas de racisme, mais pas d’homophobie. Nous lui avons adressé une demande de retirer ces propos, sinon nous le poursuivrons devant le Tribunal administratif.
(NDLR: Depuis, en octobre, Noël le Graët a préciser­ sur Be in Sport: « C’était une maladresse. Je présente mes excuses à ceux que j’ai pu froisser. C’était un mot malheureux, on ne fait pas de classement. J’ai quelques regrets, ceux d’avoir pu blesser des gens. Je le ressentais comme un non-sujet, mais ce n’était pas le cas de tous, et c’est à eux que je m’adresse. » Cela sent un peu le mea-culpa médiatique obligatoire de celui qui a tenu des propos idiots, mais où se situe le degré de sincérité de ses excuses?)

De leur côté, les clubs de supporteurs réagissent mal à l’annonce de la LFP et, comme par provocation, multiplient les banderoles injurieuses ou tendancieuses­ lors des rencontres suivantes. Pour eux, les insultes sont des banalités, et ils évoquent le manque d’intention de blesser les homosexuels. Ce serait juste du folklore. Comment leur expliquez-vous que PD, Enculés… sont bien des insultes homophobes­ et que l’état de droit ne s’arrête pas à la porte du stade?

Attention à n­e pas stigmatiser tous les supporters. Un sondage­ Odoxa de mars dernier indiquait que 65% des supporters approuvent la ministre des Sports dans sa volonté de sanctionner et d’éradiquer l’homophobie des stades de football. Alors oui, effectivement, il reste encore un tiers de supporters qui considèrent que l’injure homophobe­ est un droit fondamental, que crier “pédé, tapette, tarlouze“ pour injurier l’adversaire relève de la liberté d’expression… Or l’injure homophobe est juste un délit puni par la loi d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende, y compris dans un stade qui n’est pas une zone de non-droits, mais qui au contraire devrait être un lieu de fête, de convivialité, où l’on se sent à l’aise même quand on vient avec son mari, avec ses enfants.
Comme je l’indiquais, la présidente de la LFP assimilait en mars dernier l’homophobie au “folklore“ du foot. En août de la même année, elle enclenche les arrêts de matchs en cas d’homophobie. Donc, en mars, elle donne raison aux supporters, et en août elle leur tape fort sur les doigts, sur le même motif! Et bien sûr, sans passer par la case “explication,­ sensibilisation“. Ce n’est pas sérieux.
Alors oui, il faut expliquer aux supporters de tous les clubs, sans exception, ce qu’est l’homophobie, ce qu’est l’injure homophobe, pourquoi elle nous fait tant souffrir depuis qu’on est jeune ado, pourquoi le dénigrement homophobe conduit au suicide 4 ou 5 fois plus de jeunes quand ils sont gays.
C’est possible, nous en avons fait l’expérience en septembre­ 2013 à l’Insep où nous avions réuni des clubs de supporters pour un débat et un tournoi. Nous sommes parvenus à leur faire passer le message… quand tu leur expliques droit dans les yeux que ça te détruit intérieurement et que tu aimerais pouvoir être tranquille au moins dans ta pratique sportive ou en regardant un match, ils comprennent; Tout le monde est capable de faire preuve d’empathie. Il faut juste leur expliquer, les respecter, ne pas les prendre pour des beaufs, des abrutis. Alors si nous avons réussi, pourquoi la LFP ne l’a pas fait depuis toutes­ ces années, mais nous a, au contraire, tourné le dos? C’est inadmissible et nous en voyons en effet les conséquences aujourd’hui.

Début septembre, une réunion a eu lieu entre des clubs des supporteurs, des associations LGBT, la licra, qu’en est-il ressorti?

Nous n’étions pas invités, peut-être parce que Rouge Direct a l’expérience des paroles en l’air, des vagues engagements jamais tenus, et que nous ne signons pas n’importe quoi. Ce qu’il en ressort nous interroge et nous inquiète… Sans le dire explicitement ni l’assumer­ publiquement, il semble y avoir un moratoire­ sur les arrêts de match en cas d’homophobie. On n’en sait pas plus sur l’application systématique du règlement concernant les sanctions pour injures homophobes, ni sur la mise en place de véritables dispositifs permettant de signaler et d’identifier les auteurs de chants homophobes de manière ciblée, ni sur la responsabilité des clubs à interagir avec les clubs de supporters sur cette problématique pourtant identifiée depuis longtemps.
Comme d’habitude, ils sont ressortis de là tout content, en faisant marche arrière, en repartant à la case “sensibilisation“ des supporters, qui est comme je le disais une étape essentielle, mais qui est souvent un mot utilisé par certains quand on ne veut rien faire… D’ailleurs, nous sommes stupéfaits que sur un enjeu aussi important, et vu les moyens financiers considérables­ de la LFP, ils en soient ressortis sans aucun plan d’action de sensibilisation, pas de calendrier, pas d’objectifs chiffrés, pas de moyens (comment vont-ils concrètement sensibiliser des milliers de supporters?), pas d’échéance fixée pour évaluer. C’est très grave.
Mais nous verrons bien. Nous continuons à faire pression pour que les choses bougent, car le football est le sujet de conversation numéro un dans notre société. Et c’est un monde où l’homophobie est banalisée, décomplexée. C’est pourquoi les LGBT devraient se sentir davantage concernés par ce qui se passe (mal) dans le foot. Car s’ils ne s’intéressent pas au foot, en un sens le foot s’intéresse à eux en véhiculant des stéréotypes dégradants, notamment auprès des enfants et des jeunes. L’homophobie dans le foot finalement, c’est laffaire de tou.te.s.

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